Avec Mersi, l’icône réunionnaise du maloya-blues Christine Salem emmêle aux percussions de son île, les mélopées d’un violon virtuose. Sur ses pistes voyageuses, aux couleurs blues, maloya ou rock, elle rend grâce à ses ancêtres, et chante la paix.
Christine Salem vous fixe de son regard noir, un regard franc, de ceux qui ne mentent pas. Si, selon l’expression consacrée, « les yeux sont le miroir de l’âme », les siens racontent, sans hésitation, son caractère comme son itinéraire. Sur sa route-maloya, elle avance déterminée, suivant les chemins de sa foi et ses intuitions, comme autant de lumières. Son septième disque, Mersi, ne ressemble pas au précédent, qui lui-même ne sonnait pas comme les autres. Tous, pourtant, ressemblent à la chanteuse. Chacun lui colle à la peau, épouse ses évolutions, au plus proche de sa façon de se poser dans le monde et de s’ancrer au présent. Toujours, elle garde les antennes dressées, à l’affût des chansons à naître. Car celles-ci peuvent surgir n’importe quand, n’importe où. Il faut alors savoir les saisir dans l’air, les garder au corps lorsqu’elles le traversent. Parfois, un morceau survient les mains posées sur le piano ou sur les cordes d’une guitares, l’esprit dans les transes d’une cérémonie en hommage aux ancêtres, ou plus prosaïquement, en « nettoyant sa gazinière ». Souvent, la création surgit dans le lâcher-prise.
Avec cette manière de donner vie aux chansons, Christine Salem a donc récolté un joli bouquet de treize titres, composés à différents moments de sa vie. Et pour chacune, il a fallu trouver la clef, les arrangements qui la feraient sonner « juste ». Et ainsi, ce disque surprend par la variété de ses couleurs – du maloya, du blues, des accents rock et même un séga (Laye Laye), cette autre musique populaire de La Réunion, aux influences davantage européennes. Sur ce disque, parce qu’elle déteste la routine, Christine Salem a choisi comme fil rouge le violon virtuose du compositeur, arrangeur et chef d’orchestre Frédéric Norel. Ainsi, aux groove des percussions de son île, s’emmêlent les envolées du violon, d’inspiration classique, voire folk. Loin, pourtant, d’une juxtaposition artificielle de deux univers qu’a priori rien ne relie, l’ensemble sonne naturel, créant cette terre nouvelle, née de l’imaginaire de Salem : un monde hybride, bâti sur la liberté qu’elle laisse à chacun de ses musiciens. En capitaine du bateau, elle invite ceux qui l’entourent à embarquer dans sa vision.
Alors bien sûr, le maloya cimente cette aventure. Mais aux fondements de ses chansons, il y surtout le blues, que rappelle son harmonica sur Izae, et sa voix si reconnaissable. Christine Salem, et cela s’entend, adore cette musique née de la terre, des douleurs et de l’histoire. Et son chant incarne, à lui seul, ce style : doté de vertus magiques et consolatrices. Dans toutes ses couleurs, dans toutes ses nuances, il résonne, comme un murmure, comme un cri. Sur Mersi, prière maloya a capella, sa voix-frisson, tout en basse profonde, peuplée d’un monde sensible, s’auréole du pouls de son île, et d’une grâce lumineuse.
Car dans ce disque, il est question de spiritualité. Sans elle, l’artiste ne saurait concevoir sa musique, ni sa vision du monde. A chacune de ses chansons, ses ancêtres l’accompagnent. Dans chacun de ses mots, ils s’immiscent. Et dans ses transes, dans lescérémonies, leurs esprits lui soufflent des mots, des bribes de chansons en Créole, en Arabe, ou en Swahili, la langue de ses aïeux…
D’ailleurs, dans ses textes, comme dans le titre Anou, la chanteuse remercie ses ancêtres pour ce qu’elle est devenue, pour la confiance qu’ils lui inspirent, chaque jour. Car ce disque, peut-être, marque un pas supplémentaire vers une harmonie intérieure, une douceur retrouvée. L’amour, compris dans son sens universel inonde ses chansons, gorgées d’énergies positives. Il y ainsi Je dis non, titre joliment ironique, qui convie chacun d’entre nous à jeter un regard bienveillant sur sa propre personne, pour en retour considérer ses comparses d’un œil semblable ; Why War, le seul en Anglais, composé le soir des attentats du 13 novembre 2015, comme un appel urgent à la paix ; et puis Tienbo, contre les violences faites aux femmes. Dans Gerie, gentiment chaloupé, comme une confession, Christine Salem raconte la transformation lente d’une guerrière, qui désormais, mène ses combats de façon plus douce, plus pacifique. Les paroles de Mère Térésa résonnent dans l’esprit de la chanteuse : « On m’a souvent demandé pourquoi je ne participe pas à des manifestations contre la guerre. Je réponds que je n’y participerai jamais, mais qu’à chaque fois que l’on organisera un rassemblement pour la paix, je serai là. » Et tel s’impose son dernier disque – une ode à la paix, à commencer par celle, intérieure, que l’on nourrit soi-même.
Un album qui se distingue par sa lumière, sa sincérité et son charisme. Il ressemble à Christine Salem. Sans compromis mais fort d’une sensibilité à fleur de peau. Dans la puissance et la douceur.
Anne-Laure Lemancel